
3)Le passage du thé chez les fous
Remarque : Par souci de temps, ce texte a été raccourci.
Sous un arbre, devant la maison, se trouvait une table servie où le Lièvre de Mars et le Chapelier étaient en train de prendre le thé ; un Loir, qui dormait profondément, était assis entre eux, et les deux autres appuyaient leurs coudes sur lui comme sur un coussin en parlant par-dessus sa tête. (…) La table était très grande ; pourtant tous trois se serraient l’un contre l’autre à un même coin. « Pas de place ! Pas de place ! » s’écrièrent-ils en voyant Alice. « Il y a de la place à revendre ! » répondit-t-elle avec indignation, et elle s’assit dans un grand fauteuil à un bout de la table.
« Prends donc un peu de vin », proposa le Lièvre de Mars d’un ton encourageant. Alice promena son regard tout autour de la table, mais elle n’aperçut que du thé.
« Je ne vois pas de vin, fit-elle observer.
– Il n’y en a pas, dit le Lièvre de Mars. – En ce cas, ce n’est pas très poli de votre part de m’en offrir, répliqua Alice d’un ton furieux.
-Ce n’est pas très poli de ta part de t’asseoir sans y être invitée, riposta le Lièvre de Mars. Je ne savais pas que c’était votre table, répondit Alice ; elle est mise pour plus de trois personnes. – Tu as besoin de te faire couper les cheveux, déclara le Chapelier. » Il y avait un bon moment qu’il la regardait avec beaucoup de curiosité, et c’étaient les premières paroles qu’il prononçait.
« Vous ne devriez pas faire d’allusions personnelles », répliqua Alice sévèrement ; c’est extrêmement grossier. »
Le Chapelier ouvrit de grands yeux en entendant cela ; mais il se contenta de demander : « Pourquoi est-ce qu’un corbeau ressemble à un bureau ? « Parfait, nous allons nous amuser ! pensa Alice. Je suis contente qu’ils aient commencé à poser des devinettes…
– Je crois que je peux deviner cela », ajouta-telle à haute voix.
– Veux-tu dire que tu penses pouvoir trouver la réponse ? demanda le Lièvre de Mars.
– Exactement
– En ce cas, tu devrais dire ce que tu penses.
– Mais c’est ce que je fais, répondit Alice vivement. Du moins… du moins… je pense ce que je dis… et c’est la même chose, n’est-ce pas ?
– Mais pas du tout ! s’exclama le Chapelier. C’est comme si tu disais que : « Je vois ce que je mange », c’est la même chose que : « Je mange ce que je vois ! » – C’est comme si tu disais, reprit le Lièvre de Mars, que : « J’aime ce que j’ai », c’est la même chose que : « J’ai ce que j’aime»
– C’est comme si tu disais, ajouta le Loir (qui, semblait-il, parlait tout en dormant), que : « Je respire quand je dors », c’est la même chose que : « Je dors quand je respire ! »
– C’est bien la même chose pour toi », dit le Chapelier au Loir. Sur ce, la conversation tomba, et tous les quatre restèrent sans parler pendant une minute. (…)
Le Chapelier fut le premier à rompre le silence. « Quel jour du mois sommes-nous ? » demanda-t-il en se tournant vers Alice : il avait tiré sa montre de sa poche et la regardait d’un air inquiet, en la secouant et en la portant à son oreille de temps à autre. Alice réfléchit un moment avant de répondre : « Le quatre."
– Elle retarde de deux jours ! murmura le Chapelier en soupirant. Je t’avais bien dit que le beurre ne conviendrait pas pour graisser les rouages ! » ajouta-t-il en regardant le Lièvre de Mars d’un air furieux.
« C’était le meilleur beurre que j’avais pu trouver », répondit l’autre d’un ton humble.
« Sans doute, mais quelques miettes ont dû entrer en même temps, grommela le Chapelier. Tu n’aurais pas dû y mettre le beurre avec le couteau à pain. »
(…) Alice, qui avait regardé par-dessus son épaule avec curiosité, s’exclama :
« Quelle drôle de montre ! Elle indique le jour du mois et elle n’indique pas l’heure !
– Pourquoi indiquerait-elle l’heure ? murmura le Chapelier. (…)
Alice se sentit terriblement déconcertée. La remarque du Chapelier semblait n’avoir aucun sens(…) « Je ne comprends pas très bien », dit-elle aussi poliment qu’elle le put (…)
« As-tu trouvé la réponse à la devinette ? demanda le Chapelier en se tournant vers Alice.
– Non, j’y renonce ; quelle est la réponse ?
– Je n’en ai pas la moindre idée, dit le Chapelier.
– Moi non plus », dit le Lièvre de Mars.
Alice poussa un soupir de lassitude. « Je crois que vous pourriez mieux employer votre temps, déclara-t-elle, que de le perdre à poser des devinettes dont vous ignorez la réponse.
– Si tu connaissais le Temps aussi bien que moi, dit le Chapelier, tu ne parlerais pas de le perdre, comme une chose. Le Temps est un être vivant.
– Je ne comprends pas ce que vous voulez dire, répondit Alice.
– Naturellement ! s’exclama-t-il en rejetant la tête en arrière d’un air de mépris. Je suppose bien que tu n’as jamais parlé au Temps !
– Peut-être que non, répondit-elle prudemment. Tout ce que je sais, c’est qu’il faut que je batte les temps quand je prends ma leçon de musique.
– Ah ! cela explique tout. Le Temps ne supporte pas d’être battu. Si tu étais en bons termes avec lui, il ferait presque tout ce que tu voudrais de la pendule. Par exemple(…) tu pourrais faire rester la pendule sur une heure et demie aussi longtemps que tu voudrais.
– Est-ce ainsi que vous faites, vous ? »
Le Chapelier secoua négativement la tête d’un air lugubre. « Hélas, non ! répondit-il. Nous nous sommes disputés en mars dernier, juste avant que lui ne devienne fou. (Il montra le Lièvre de Mars, de sa cuillère à thé.) C’était au grand concert donné par la Reine de coeur, où je devais chanter :
Scintille, scintille, petite chauve-souris !
Comment s’étonner que tu sois ici ! (…)
« Eh bien, j’avais à peine fini le premier couplet, reprit le Chapelier, que la Reine se leva d’un bond en hurlant : « Il est en train de tuer le temps ! Qu’on lui coupe la tête ! »
– Quelle horrible cruauté ! s’exclama Alice.
– Et depuis ce jour-là, continua le Chapelier d’un ton lugubre, le Temps refuse de faire ce que je lui demande ! Il est toujours six heures à présent. »
Alice eut une idée lumineuse. « Est-ce pour cela qu’il y a tant de tasses à thé sur la table ? demanda-t-elle.
– Oui, c’est pour cela, répondit le Chapelier en soupirant ; c’est toujours l’heure du thé, et nous n’avons donc jamais le temps de faire la vaisselle.
(…)Le Lièvre de Mars (dit) en bâillant : « Je commence à avoir assez de tout ceci. Je propose que cette jeune fille nous raconte une histoire.
– J’ai bien peur de ne pas savoir d’histoire », dit Alice un peu inquiète.
« En ce cas, le Loir va nous en raconter une ! » s’écrièrent-ils tous les deux. « Hé ! Loir ! Réveille-toi ! » (…)
– Raconte-nous une histoire ! ordonna le Lièvre de Mars.
– Oh, oui ! je vous en prie ! dit Alice. (…)
– Il était une fois trois petites soeurs, commença le Loir (..)Elles vivaient au fond d’un puits…
– De quoi se nourrissaient-elles ? demanda Alice qui s’intéressait toujours beaucoup au manger et au boire.
– Elles se nourrissaient de mélasse, répondit le Loir après deux minutes de réflexion.
– Voyons, cela n’est pas possible, fit observer Alice d’une voix douce. Elles auraient été malades.
– Elles étaient malades, très malades. »
(…)« Pourquoi vivaient-elles au fond d’un puits ? (…)De nouveau le Loir réfléchit pendant deux bonnes minutes. Ensuite il déclara : « C’était un puits de mélasse.
– Cela n’existe pas ! » s’écria Alice avec colère.
(…)Le Loir observa d’un ton maussade : « Si tu ne peux pas être polie, tu ferais mieux de finir toi-même l’histoire.
– Non ! continuez, je vous en prie ! dit Alice, se faisant humble. Je ne vous interromprai plus. (…)
« Donc, ces trois petites soeurs, vois-tu, elles apprenaient à puiser…
– Que puisaient-elles ? demanda Alice, oubliant tout à fait sa promesse.
– De la mélasse, dit le Loir, sans prendre le temps de réfléchir, cette fois.
(…)-Ne voulant pas offenser le Loir de nouveau, elle commença à dire très prudemment : « Mais je ne comprends pas. Où puisaient-elles cette mélasse ?
– On peut puiser de l’eau dans un puits d’eau, répliqua le Chapelier. Je ne vois donc pas pourquoi on ne pourrait pas puiser de la mélasse, dans un puits de mélasse, hein, pauvre sotte ?
(…) « Elles apprenaient aussi à dessiner, poursuivit-il (…); et elles dessinaient toutes sortes de choses… tout ce qui commence par B…
– Pourquoi par B ? demanda Alice.
– Pourquoi pas ? » rétorqua le Lièvre de Mars. Alice ne répondit pas.
(…)« … qui commence par B, tels qu’un bilboquet, une bergamote, la berlue, ou un bonnet – tu sais qu’il y a des expressions telles que « blanc bonnet et bonnet blanc » – as-tu jamais vu un dessin représentant un « blanc bonnet » ?
– Vraiment, maintenant que vous m’en parlez, dit Alice, qui ne savait plus où elle en était, je ne crois pas que…
– En ce cas, tu devrais te taire », fit observer le Chapelier.
Cette grossièreté était plus que la fillette n’en pouvait supporter : complètement dégoûtée, elle se leva et s’éloigna. (….)
Ce chapitre est de loin le plus fou et le plus absurde de l'histoire. Le chapelier et le lièvre de mars sont aussi fous l'un que l'autre, comme le citent ces expressions anglaises : « as mad as a march hare » (fou comme un liève de mars) et « as mad as a hatter » (fou comme un chapelier). Lewis Carroll a donc utilisé ces expressions pour ses personnages.
Ce passage est basé sur le non-sens, ("nonsense" en anglais est l’art de développer des raisonnements sans aucun sens sous une apparence logique), qui reposent sur un principe d'irrationnalité. C'est un principe de l'humour anglais, dont Lewis Carroll est un spécialiste.
C'est une scène de rencontre très particulière, dans le sens où elle s'apparente plus à une scène de dispute, ce qui est plutôt original étant donné que les personnages se rencontrent pour la première fois. Les verbes "répliqua" et "riposta" ainsi que les adjectifs "furieux" et "sévèrement" expriment ce sentiment de dispute. Le chapelier et le lièvre de mars ne semblent pas très polis, proposant à Alice des boissons qu'il n'ont pas ou faisant des remarques personnelles : "il n'y en a pas" ; "tu as besoin de te faire couper les cheveux". Cette dernière phrase, qu'il est possible de prendre pour un non-sens, est la toute première parole du chapelier, ce qui ne s'apparente pas à un début de conversation très normal.
C'est alors que le Chapelier pose une devinette : "Pourquoi un corbeau ressemble à un bureau ?" Alice est heureuse qu'ils commencent à jouer : "Parfait, nous allons nous amuser ! pensa Alice. Je suis contente qu’ils aient commencé à poser des devinettes…" La fillette est une enfant : elle aime les devinettes et les jeux.
Les nombreux chiasmes « Je vois ce que je mange », c’est la même chose que : « Je mange ce que je vois ! » ; « J’aime ce que j’ai », c’est la même chose que : « J’ai ce que j’aime ! » ; « Je respire quand je dors », c’est la même chose que : « Je dors quand je respire ! » sont relatifs à l'opposition, à l'antithèse, au non-sens. Ils créent un effet de doute, d'incertitude et d'incompréhension chez le lecteur, qui sont relatifs à l'onirisme, à l'absurdité de ce monde mais aussi à la quête d'identité, qui s'apparente à l'incompréhension de soi. Ils mettent en lumière la folie des personnages, qui semblent dirent des choses sans aucun sens.
C'est la même chose lorsque le chapelier regarde sa montre en demandant quelle est la date : « Quel jour du mois sommes-nous ?", car les montrent n'indiquent normalement pas la date mais l'heure. Le lecteur est alors amené à se demander si le chapelier a complètement perdu la tête, ce qui semble confirmer lorsque le chapelier murmure : "Elle retarde de deux jours ! Je t’avais bien dit que le beurre ne conviendrait pas pour graisser les rouages." Ceci est un non-sens : les deux personnages parlent de façon correcte mais leur raisonnement semble dépourvu de sens. Ils ont une logique absurde, relative à la folie et à l'onirisme : ils mettent du beurre pour réparer une montre, ce qui, en soit n'est pas totalement illogique puisque les horlogers mettent de la graisse dans les rouages des montres lorsqu'elles sont abîmées. Le doute subsiste lorsque le chapelier demande : "pourquoi indiquerait-elle l'heure ?" suite aux exclamations étonnées d'Alice : « Quelle drôle de montre ! Elle indique le jour du mois et elle n’indique pas l’heure !" Suite à la réponse du chapelier, "Alice se sentit terriblement déconcertée". Cela exprime sa perte de repères dûe à croissance : ces personnages semblent fous à lier et incapables de l'aider dans sa quête. Ce sentiment est aussi exprimé par la phrase "Alice, qui ne savait plus où elle en était." Le chapelier annonce ensuite "(qu'il) n'(a) pas la moindre idée" de la réponse à la devinette, ce qui accentue la folie des personnages : ils posent des questions sans réponse. Cela exprime l'absurdité de la conversation.
Malgré cette conversation très étrange, il y a dans ce passage du livre une allégorie du temps. "Si tu connaissais le Temps aussi bien que moi, dit le Chapelier, tu ne parlerais pas de le perdre, comme une chose. Le Temps est un être vivant." Le chapelier et Alice ne parlent pas de la même chose. Alice dit "Tout ce que je sais, c’est qu’il faut que je batte les temps quand je prends ma leçon de musique." Elle parle ici de marquer la pulsation du métronome. Mais le Chapelier prend cela au sens propre du mot et réplique "Le Temps ne supporte pas d’être battu". C'est un non-sens, un malentendu, relatif à la folie. Cette allégorie du temps symbolise le temps qui passe lorsque l'on grandit, mais aussi la notion du temps parfois difficile chez les enfants, ou encore le rapport au temps si particulier dans l'onirisme : Le lapin court après le temps alors que le lièvre et le chapelier sont bloqués à l'heure du thé. Le chapelier conseille alors à Alice d'être en bons termes avec le temps, comme cela elle pourrait lui demander ce qu'elle voudrait : "il (le temps) ferait presque tout ce que tu voudrais de la pendule !" Elle pourrait donc arrêter ou avancer le temps selon ce qu'elle désire.
La chanson que chante le chapelier est également un non-sens : "Scintille, scintille, petite chauve-souris". C'est une oxymore qui met en valeur l'oposition entre les 2 propositions : la chauve souris est un animal nocturne (ce qui rappelle l'onirisme). Elle ne peut pas scintiller : cela fait partie des absurdités et non-sens de la conversation. De plus, tout le monde paraît fou (comme l'a déjà dit le chat) lorsque le chapelier explique pourquoi le temps et lui sont fachés : alors qu'il chantait sa chanson, la reine a crié : "Il est en train de tuer le temps !" Ceci est toujours une allégorie. Il y a également un jeu de mots, "tuer le temps" voulant aussi dire "s'occuper pour faire passer le temps". Il n'y donc aucun rapport avec "tuer" le temps au sens propre : le temps est abstrait, on ne peut pas le tuer. Les personnages de ce monde ne comprennent pas les sens figurés des mots et expressions. Le seul rapport qu'il est possible de trouver est que le chapelier chantait une chanson, une chanson étant de la musique, il est possible de "battre les temps" dessus. Le chapelier aurait donc trop battu le temps en chantant et il était en train d'en mourir, comme l'expression "battre à mort".
Alice, manifestant son goût pour les jeux et les histoires ("Raconte-nous une histoire ! ordonna le Lièvre de Mars. Oh, oui ! je vous en prie ! dit Alice."), a déjà montré qu'elle était assez enfantine. Cette attitude est confirmée par les nombreuses questions qu'elle pose pendant que le loir raconte son histoire, sûrement car celle-ci ne paraît pas tellement vraisemblable : "De quoi se nourrissaient-elles ?" ; "Voyons, cela n’est pas possible" ; « Mais je ne comprends pas. Où puisaient-elles cette mélasse ?" ; "Pourquoi par B ?" etc. Ces nombreuses interrogations sont relatives aux enfants qui posent sans arrêt des questions. Alice veut tout savoir, tout comprendre, au risque de paraître impolie.
Ces questions finissent par agacer les personnages, qui vont jusqu'à lui dire : "petite sotte" et "en ce cas, tu devrais te taire". Cela représente un comportement adulte qui dispute un enfant pour lui apprendre à mieux se comporter. La phrase "Cette grossièreté était plus que la fillette n’en pouvait supporter" traduit l'impatience d'Alice, qui est un de ses défauts.
Dans ce chapitre, Alice apprend qu'elle est trop curieuse et que, de par son comportement enfantin (questions...) elle paraît impolie. Il y a un inversement des rôles, le chapelier et le lièvre semblent impolis au début de par leurs remarques mais ils sont corrigés par Alice. A la fin, c’est l’inverse : Alice est impolie et les autres, agacés, ne cessent de la reprendre.
De plus, le rapport et l'allégorie du temps donnent à Alice un indice sur sa quête : temps qui passe en grandissant, la notion de temps particulière chez les enfants. Cela lui montre qu'elle est en train de changer. L'indice sur le rêve, toujours avec l'allégorie du temps, est également donné : le temps est particulier en rêve. Le caractère absurde de ce passage et ses nombreux non-sens montrent la folie des personnages, qui est présente pour aider Alice. En effet, elle a besoin de rêver d'un monde où tout le monde serait fou et chaque chose illogique pour effectuer sa quête, comme si les gens "réels", "normaux", "sains d'esprit" ne pouvaient l'aider. La logique du réel fait alors place à l'absurdité du rêve afin de faire avancer Alice. Ces personnages, tout comme la chenille, symbolisent les adultes du monde réel qui aident l'enfant à grandir.
Cette scène se place dans un cadre assez lugubre, sombre, à la limite de l'abandonné, seul les personnes donnent vie au lieu. On peut entendre dans le fond une faible musique, un peu "abîmée" sur les tons jazzy, comme si avant il y avait eu quelquechose de plus joyeux. La table est très longue, mais reste très étroite, elle est dans un état médiocre : la vaisselle est cassée, la nappe est sale. Tout est très étrange. Alice est toute petite, alors qu'elle était quelques minutes plus tôt grande. Cela nous montre qu'elle vit des transformations.
Le Chapelier fou, à la vue d'Alice, marche sur la table pour aller à sa rencontre, ce qui exprime sa précipitation et son impatience : il préfère marcher sur la table plutôt que de faire le tour. Cela est mit en scène par un travelling. De plus, un gros plan permet au spectateur de prendre en compte les émotions intenses du Chapelier en voyant arriver Alice. On note des impressions de plongée et de contre plongée avec le chapelier car Alice est petite. Cela montre encore une fois que le chapelier sait que c'est la bonne Alice comme il le dit :"C'est toi", "C'est bel et bien Alice, tu es bel et bien Alice je la reconnaîtrait entre mille, c'est lui je le reconnaitrai entre mille !", le Chapelier est fou, il ne sait plus où donner de la tête, il se trompe dans les pronoms, il s'emballe mais, il est sûr, absolument sûr que c'est bien LA vraie Alice. Le Chapelier dit à Alice "J'ai été obligé de tuer le temps en attendant ton retour, tu es affreusement en retard", cette phrase est une allégorie du temps, "tuer le temps" veut aussi dire "s'occuper". Il attend Alice depuis la dernière fois où elle est partie, comme l'exprime son reproche sur son retard. L'allégorie au temps est toujours présente : "Le temps fort contrarié a décidé de tout arrêter, depuis, plus un tic tac" le Chapelier explique que l'heure ne tourne plus : elle est bloquée au thé depuis la dernière fois qu'Alice est partie, comme si, puisque c'est son rêve, le temps dépendrait d'elle. Plus tard dans la scène le Chapelier et Lièvre de Mars se disent "J'attends"/"le tic tac est reparti", avec une montre dans une tasse de thé, ce qui exprime la folie des personnages. Le temps a donc recommencé, il suffisait juste qu'Alice revienne pour qu'il reparte et ne sois plus fâché. Cela semble rendre le Chapelier heureux, puisqu'il échappe un petit bruit de contentement. Ceci est accompagné par un des nombreux gros plans effectués sur le chapelier tout au long de la scène, qui montrent ses émotions. Le Lièvre de Mars lui, est fou bien évidemment lui aussi. Il semble nerveux et paranoïaque, ce qui sont des maladies mentales associées à la folie à l'époque. On observe cela grâce à son "tasse" mais aussi grâce au fait qu'il tremble, se tord les oreilles, a les yeux qui sortent de leurs orbites... Tout cela mis en valeur par un plan rapproché. .De même pour le Chapelier, qui lui est fou car, avant, dans le métier de Chapelier, les travailleurs utilisaient de la colle au mercure, ce qui engendrait des problèmes mentaux. On remarque que Tim Burton a choisis d'insister sur cela en donnant des yeux rouges (au lieu de verts) au Chapelier lorsqu'il se met en colère. Cette couleur s'explique car à l'état brut, le mercure est de couleur rouge.
Alice revient sur l'idée du temps, "le temps est très curieux en rêve" : cette phrase, tout comme l'allégorie du temps, représente la notion de temps particulière dans l'onirisme. La jeune femme est toujours sûre qu'elle rêve, elle s'étonne de ce temps personnifié.
Le Chapelier quant à lui, reste tout de même sur la quête d'Alice en lui rappelant son but, le jour frabieux, qui marque la fin de sa quête. Il dit "Oui bien sûr, mais tu es enfin revenue et nous devons avancer au jour frabieux sans tarder", ici le verbe "avancer" est relatif au chemin, dont parlait le chat : on avance sur le chemin pour atteindre un but, le but étant ici le jour frabieux. On peut noter que ce personnage est attiré par les mots commençant par la lettre M, ce qui n'a aucun rapport avec la devinette "Pourquoi un corbeau ressemble-t-il à un bureau?" posée juste après. Cela démontre de nouveau la folie des personnageset l'absurdité. On pourrait relier ça au mot "Maudête", lorsque le Loir/souris, le Chapelier ainsi que le Lièvre de Mars s'écrient "À bas la maudête grosse tite", cela vise la Reine Rouge, dont le règne n'est pas très apprécié. Suite à ça, le Chapelier revient sur la jour frabieux, ici représenté par le terme péjoratif "massacre", qu'il dit avec légèreté, comme si il n'avait pas conscience.
On retrouve ici un chiasme : "c'est pour ca qu'il est temps d'oublier et de pardonner, ou de pardonner et d'oublier, peu importe dans quel ordre d'ailleurs, tant que tout le monde est content." Cela exprime encore la folie des personnages, car le chapelier dit deux phrases qui signifient exactement la même chose.

Gravure de John Tenniel pour le livre original (wikipedia).
